Echecs sur internet : de la préhistoire à l’âge d’or

Lichess, Chess.com, Chess24, KasparovChess… Aujourd’hui, les offres disponibles pour pousser du bois virtuel sont légion. Pourtant, tous ces sites héritent d’un seul et même serveur, l’Internet Chess Server, créé dans les années 1990…

Antonin HAMBURGER pour Route64

Malgré sa gratuité, le Free Internet Chess Server n’ameute pas autant les foules que l’ICC.

L’histoire commence en janvier 1992. Michael Moore, étudiant à l’université d’Utah (Etats-Unis), et Richard Nash, découvrent le potentiel d’un serveur entier prévu pour jouer aux échecs. Fini, les temps d’attente interminables du jeu par correspondance, y compris à travers les mails. L’Internet Chess Server devient rapidement populaire chez un petit groupe d’amateurs, malgré de nombreux bugs et délais dus à la lenteur des connexions. Logiquement, les parties de blitz étaient particulièrement affectées.
À la fin de l’année 1992, l’ICS est hébergé dans une autre université américaine, la Carnegie Mellon University. Rapidement, Daniel Sleator, professeur d’informatique, prend les commandes du serveur. Il s’attèle alors à résoudre les problèmes dont se plaignent régulièrement les utilisateurs. Il apporte de nombreuses modifications dans le code, ce qui l’amène en 1994 à en revendiquer la propriété intellectuelle. Déjà, des voix s’élèvent pour contester l’appropriation d’un travail partagé par de nombreux volontaires. Mais le professeur d’informatique va plus loin : le 1er mars 1995, il décide de rendre l’ICS payant. Pour 49 dollars par an, il est alors possible de rejoindre l’Internet Chess Club (ICC). La décision est très controversée. Les contributeurs bénévoles ont l’impression que le fruit de leurs efforts a été subtilisé, tandis que les joueurs sont mécontents de voir un service gratuit devenir payant. Certains développeurs, malgré les abonnements qui leur avaient été offerts en dédommagement, décident de créer un nouveau serveur, gratuit et open-source : le Free Internet Chess Server. Edward Collins, ancien administrateur du site, raconte la première fois où il joue en ligne : « Je me rappelle encore du souvenir merveilleux de ma première expérience de jeu en ligne. Plus besoin d’attendre le vendredi soir pour jouer à mon club. Je pouvais jouer tous les jours, quand je voulais, chez moi, en pyjama, contre quelqu’un à l’autre bout de la planète ! C’était très amusant de demander à l’adversaire d’où il venait et de voir toutes les réponses différentes. » À l’époque des débuts d’internet, c’est pour les joueurs une possibilité révolutionnaire.
En parallèle, le FICS hébergeait des salons de discussion. D’après Edward Collins, « certains membres ne jouaient probablement pas aux échecs. Les salons étaient pour eux un endroit où discuter de tout et de rien, et il y en avait des dizaines, consacrés aux sports, à la politique, au cinéma, à la musique… »

Malgré sa gratuité, le Free Internet Chess Server n’ameute pas autant les foules que l’ICC. « Ils avaient plus de ressources disponibles pour faire la publicité du serveur, pour inviter des Grand-Maîtres, engager des développeurs, etc. » Sur le site payant, les meilleurs GM s’affrontent, au point que certains en parlent aujourd’hui comme l’âge d’or des échecs en ligne. Déjà, l’américain Hikaru Nakamura trônait en haut des classements, suivi par de nombreux autres joueurs : Ding Liren, Alexander Grischuk, Fabiano Caruana, Maxime Vachier Lagrave, Gata Kamsky, et bien sûr, Magnus Carlsen.