Éric Prié à l’Hôtel du Roi en août 2022
juste avant son départ pour le championnat de France
C’est l’une des figures emblématiques des échecs français. À 60 ans, Éric Prié reste un compétiteur dans l’âme. Joueur mais aussi entraîneur, théoricien, dirigeant de club et de comités, ancien cadre de la FFE et arbitre FIDE, le récent champion de France des « séniors + » a exploré toutes les cases de l’échiquier.
Temps de lecture : 29 minutes
Éric Prié le concède lui-même avec humour : « En 45 ans de vie échiquéenne, j’ai eu le temps de me forger de solides inimitiés ! » On veut bien le croire : l’actuel président des comités départementaux de l’Aude et de l’Ariège, Parisien de naissance et Costarmoricain de souche, fils d’un mécanicien dans la marine marchande et d’une préparatrice en pharmacie briardo-alsacienne, n’est pas du genre à se complaire dans la langue de bois ou la fausse modestie, même s’il a coulé de l’eau sous les ponts depuis ses deux premiers titres de champion de Paris, quand le jeune fan de rock à l’allure un peu rebelle, cuir et t-shirt des Sex Pistols sur le dos, arrosait ça… avec Jacques Chirac.
Cela fait déjà 40 ans, mais le compétiteur est toujours là : il l’a encore montré l’été dernier en survolant le championnat de France des plus de 50 ans, qu’il a terminé seul en tête avec 8 points sur 9. Plus récemment, en novembre, il n’a pas démérité au championnat du monde de la même catégorie, à Assise, avec une très correcte 11ème place (il avait accroché un podium lors de l’édition 2017, en Italie déjà). Le rebelle, quant à lui, a mis un peu d’eau dans son vin, ce qui n’empêche pas certaines oreilles de siffler de temps à autre aux quatre coins du pays…
Jacques Chirac et Éric Prié
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« J’ai été initié par un copain »
En 45 ans, Éric Prié a connu des hauts et des bas, mais a eu le temps de se construire un palmarès à la hauteur de ses grandes ambitions. Commençons par le début : « J’ai été initié par un copain, joueur de club, à l’âge de 13 ans. Je me suis inscrit à Gagny, dans le 93, en 73-74, puis j’ai joué mon premier grand tournoi en 76, au championnat de France de Saint-Jean-de-Monts, en Vendée. Mes parents me laissaient au tournoi et allaient à la plage », explique Éric, qui avait un an d’avance à l’école et qui a plus tard étudié les mathématiques pendant deux ans, à la faculté de Jussieu, avant de laisser tomber pour se consacrer pleinement aux échecs : « Mes parents, qui n’étaient pas d’un milieu universitaire, ne savaient pas trop comment s’y prendre. J’avais aussi quelques dispositions pour le tennis de table et le hand, un esprit de compétition assez développé mais pas trop de discipline. Je voulais être le meilleur dans mon domaine, et mes bons résultats m’ont finalement incité à choisir les échecs ». Son premier titre, Éric le glane dès 1977, lorsque son lycée du Raincy (Albert Schweitzer) remporte le championnat de France, et ce devant le prestigieux lycée Fermat de Toulouse… d’un certain Marc Santo-Roman.
La suite conforte Éric Prié dans son choix : « Après quelques succès mineurs chez les jeunes et la moyenne pour ma première participation dans le National du championnat de France (à Puteaux, en 1980), j’ai remporté mon premier tournoi international en juin 1981, à Haderslev, dans l’open junior du Danemark. Alors meilleur junior national, j’ai été sélectionné pour participer au championnat du monde des moins de 20 ans à Mexico, en août. J’y ai réalisé le score de 6,5 sur 13, ce qui à l’époque était appréciable pour un Français ». Car oui : nous parlons bien de ces temps déjà lointains où la France ne comptait encore que deux maîtres internationaux, MM. Haïk et Giffard. Manquait encore à nos tournois la forte adversité nécessaire à l’obtention des titres. « Je me souviens d’un tournoi à Douai, dans les années 80. Quelques maîtres Fide étaient inscrits et j’avais pris ma moto pour aller le disputer. Un maître yougoslave s’est présenté à la dernière minute : les joueurs, unanimement, ont fait des pieds et des mains pour que l’organisateur accepte de l’inviter. Pensez-vous ! « Un maître international… Un maître international ! » » Autres temps, autres mœurs…
Il est l’un des artisans de la première victoire française en Mitropa Cup
Pour Éric, les choses sérieuses commencent en 1982. Outre le premier de ses 4 titres de champion de Paris (82, 83, 92 et 96), il est l’un des artisans de la première victoire française en Mitropa Cup. Il continue sur sa lancée en 83, s’illustrant dans de nombreux opens et réalisant deux premières normes de MI… pour du beurre ! Car alors qu’une belle carrière paraît amorcée, s’ensuivent 4 années difficiles, marquées par une déception sentimentale, une désaffection pour le jeu, le service militaire et un licenciement économique. En 1988, le retour sur les 64 cases est assez brutal : « Je décide finalement d’essayer de vivre de ce que je sais le mieux faire, et termine dernier du championnat de Paris pour mon retour à la compétition en parties longues… »
Champion de France et GMI
Mais il faut croire qu’Éric était fait pour les montagnes russes. Il se ressaisit et, dès 89, réalise trois normes de MI à Lugano, Szeged et Belfort, synonymes de titre. Malgré les années perdues, il prend une très belle 3ème place au championnat de France d’Épinal. Il joue aussi le championnat d’Europe d’Haïfa en compagnie de MM. Renet, Lautier, Koch et Mirallès. Il y annule notamment contre Gelfand. Le jeune maître international n’a pas encore 30 ans : il reste dans la course pour le titre suprême. C’est à l’olympiade de 90, à Novi Sad, qu’il réalise sa première norme de GMI. Cinquième au championnat de France d’Angers, il entame à Challes-les-Eaux et Saint-Uze une belle moisson de victoires dans les opens régionaux. Mais il faudra encore cravacher. L’ascension du joueur se poursuit dans les années qui suivent, entre les places d’honneur au championnat de France et les sélections en équipe nationale pour le championnat d’Europe de Debrecen (1992) et l’olympiade moscovite de 1994. Pendant toutes ces années, Éric sillonne ainsi l’Europe et en retire de ces souvenirs pittoresques qui vous restent en mémoire : « En 92, pendant les guerres de Yougoslavie, il fallait passer par la Roumanie pour se rendre en Bulgarie. On prenait le bac à Vidin pour franchir le Danube. J’étais allé jusque là-bas en Peugeot 205 ! ». C’est à l’autre bout du Vieux Continent qu’Éric fait la connaissance de sa première épouse… et en profite pour commencer à côtoyer de plus près de nombreux joueurs de l’Est. En sus du français et de 7 autres langues, il parle couramment bulgare : « À cette époque, j’aurais pu faire le chauffeur pour un oligarque », s’amuse-t-il.
Lors de son premier titre de champion de France, Eric Prié a fait la couverture de la revue alors éditée par la FFE… en compagnie du grand Kasparov !
« Il m’a fait accéder à un niveau supérieur de compréhension du jeu.»
Eric Prié devant l’échiquier à Albi
Mais la véritable « année Prié », c’est évidemment 1995, avec une double consécration : un titre de champion de France à Toulouse-Labège, et un autre… de grand maître international. L’histoire retiendra donc qu’Éric Prié a fait partie de la première « poignée » de GMI français. Un titre alors pas si simple à obtenir, qu’il reconnaît avoir acquis en se préparant avec l’incontournable Iossif Dorfman, en descendant à Cannes pour des semaines de cours… en village Pierre et Vacances. « Il m’a fait accéder à un niveau supérieur de compréhension du jeu. Plus tard, on a aussi beaucoup joué aux cartes », commente Éric. Lourd travail, véritable sacerdoce, que l’engagement indispensable à toute progression vers le sésame tant convoité.
Survient alors son premier divorce, qui coupe une nouvelle fois Éric dans son élan. En dépit d’un doublé coupe-championnat avec Clichy et d’une nouvelle sélection pour l’olympiade de 96 (au cours de laquelle il jouera un peu de malchance), le grand maître international n’est pas tout à fait dans son assiette. C’est une constante dans sa carrière échiquéenne : ses bonnes périodes auront avant tout été celles d’une stabilité affective.
Un DTN sous l’ère Loubatière
Si ses titres majeurs sont sans doute déjà derrière lui, Éric continue cela dit d’évoluer à un excellent niveau, produisant ici ou là de jolis coups d’éclats. Il garnit encore son armoire à trophées, mais diversifie surtout ses activités. À la fin des années 90, il se concentre notamment sur les simultanées à l’aveugle (l’une de ses spécialités), établissant un record personnel sur 15 échiquiers (9 victoires, 6 nulles) en marge du match Bacrot-Huebner de 1998 à Albert, dans la Somme. La même année, le magazine Sciences et Vie Junior le consulte pour son hors-série d’avril sur « le cerveau et la mémoire ». C’est aussi en 1998 qu’Éric est nommé directeur technique national. Depuis quelques années déjà, il accompagnait, entraînait et préparait de jeunes talents, bénévolement ou mandaté par la FFE en vue de compétitions internationales. Au fil du temps, Éric s’est ainsi occupé, à des degrés divers, de joueurs dont la réputation n’est désormais plus à faire, d’Étienne Bacrot à Laurent Fressinet en passant par Benoît Lepelletier, Igor-Alexandre Nataf, Robert Fontaine, Marie Sebag, Yohan Benitah ou Arnaud Rainfray. La liste n’est pas exhaustive… Même le tout jeune MVL aurait recouru aux services du « coach » Prié.
Au milieu de toutes ces aventures, Éric migre vers le sud et, à partir de la saison 96-97, prend sa licence au Montpellier Échecs, qui jouera pendant quelques années les premiers rôles en coupe et en championnat de France. Il restera au club jusqu’en 2010-2011, non sans s’être investi dans son redressement suite au décès de celui qu’il nomme avec malice « le grand Jean-Claude » (en avril 2004), œuvrant aux côtés de la nouvelle présidente Sylvianne Millet. Il participera ensuite activement au sauvetage du club, cette fois en tant que président, après une (trop ?) belle saison 2008-2009, conclue par une troisième place en top 16… et une ardoise de 80.000 euros : « Il a fallu des prêts personnels de plusieurs personnes et des demandes d’aide exceptionnelle auprès de différentes institutions pour éponger nos dettes. C’était du temps de Georges Frêche, qui vous accordait audience tel un Louis XIV… Nous sommes repartis en gardant tous les employés, mais sans joueurs pro, en déployant des trésors d’imagination pour nos déplacements afin de limiter les frais ». Après une fusion à marche forcée avec l’autre club local de la Diagonale du Sud, Éric tient un temps le premier échiquier comme il peut, puis change d’air en 2011 avec sa nouvelle compagne : direction Carcassonne, où il vit depuis. Une station idéale pour ce féru d’histoire.
Eric Pré sur le podium à l’occasion du championnat de France à Albi
Dans la première moitié des années 2000, il est l’entraîneur national des jeunes. Sa présence et son activité à Montpellier l’ont effectivement rapproché au fil des ans de Jean-Claude Loubatière, homme d’action qu’il considère comme son mentor « politique ». Une période au cours de laquelle, comme souvent au fil de son histoire, la FFE marchait sur des œufs au niveau financier, mais marquée par « un amour sincère et totalement désintéressé de son président pour les joueurs et le jeu », tout autant que par les nouveaux projets qu’il défendait avec constance. « Jean-Claude n’était jamais en retard sur le plan administratif, mais il avait une vision très personnelle de l’écoulement du temps… Pour mener à bien un projet, l’argent n’était jamais un problème. Cela a d’ailleurs failli lui coûter une élection. À côté de cela, il vivait dans un dénuement qu’on ne peut imaginer. Chez lui, il n’y avait rien, aucun bibelot. Je ne sais même pas s’il avait un téléviseur. Il ne vivait que pour la fédé, et tout passait après les échecs, y compris sa vie personnelle ».
De Montpellier à Carcassonne
Par la suite, sous le mandat de Diego Salazar (2013-2016), Éric Prié devient vice-président de la FFE en charge du développement. On connaît l’histoire : l’aventure a tourné court avec la fin du partenariat liant la BNP à la fédération. La banque apportait alors plus du dixième du budget de la FFE. Le déficit de 2015 laisse présager des lendemains qui déchantent. Il n’en fallait pas davantage pour déclencher un petit tsunami dans les échecs français, sur fond de polémiques liées au projet de déménagement du siège et à la rémunération du président et du DTN.
« L’histoire retiendra donc qu’Éric Prié a fait partie de la première « poignée » de GMI français.»
À l’issue de ce qu’il décrit aujourd’hui comme une énième manifestation de l’éternelle « querelle interne entre les libéraux et des centralistes volontiers dirigistes », Éric Prié s’est justement recentré sur le travail qu’il effectue au niveau départemental depuis maintenant une dizaine d’années, en partie fondé sur la création de clubs et de tournois, avec à la clé une assez nette progression du nombre de licenciés.
Pendant toutes ces années de péripéties politico-échiquéennes dans le Midi, le joueur d’échecs a malgré tout continué de soigner son Elo, atteignant même un pic à 2.532 en 2007-2008. S’il ne peut plus se hisser au niveau de ses tout meilleurs successeurs, il se signale par sa longévité et sa régularité dans les résultats. En 2019, son classement tournait toujours autour des 2.470 points, et ce n’était certainement pas en se cachant : il continue d’amasser les prix dans les tournois qu’il dispute (comme dernièrement lors du tournoi en rapide du festival de Perpignan), en plus des cours et des simultanées qu’il donne, de ses vacations auprès des jeunes de Carcassonne et de ses fonctions d’arbitre. Pas de quoi rouler en voiture de sport et manger tous les jours à Fontjoncouse, mais peut-être la décente rétribution d’années de sacrifices échiquéens. « J’ai perdu une centaine de points avec le covid et le port du masque. Je prends de l’âge et il est plus difficile de se forger une motivation, d’enchaîner les parties contre des maîtres internationaux toujours plus jeunes et féroces. Mais je ne suis pas fini : je veux encore jouer et bien figurer dans des tournois dont les conditions me conviennent ». Aucun doute : Éric Prié n’est pas près de raccrocher les gants ! Tant mieux pour les amateurs d’échecs… et d’épigrammes.
Éric, Vishy, Garry…
« C’était en 1993, lors du plus fort top 16 qu’on ait alors connu en France. Plusieurs clubs jouent la gagne : le triple champion Lyon-Oyonnax, alors à son sommet avec Kouatly et Anand, Belfort avec Karpov, Auxerre qui avait réussi à embaucher Kasparov, et enfin l’éternel second Clichy, pour lequel je jouais. Nous sommes au matin de notre match contre Lyon, club qui s’est à l’époque développé avec le soutien de Michel Noir. À ce moment des hostilités, Auxerre a intérêt à ce que Clichy batte Lyon. Je dois jouer contre Anand. Ce matin-là, nous demandons donc gentiment à Kasparov, en le croisant au petit déjeuner, comment faire nulle avec les blancs contre Anand. Kasparov nous répond alors, dans son style inimitable : « Je ne sais pas… mais je sais comment le battre ! » Finalement, je joue la partie et je parviens à faire nulle alors que je suis objectivement fichu…
La même année, au zonal de Bruxelles (comptant pour le cycle des candidats 1993-1996), une simultanée s’organise avec Kasparov, qui accepte d’inclure à la liste de ses adversaires deux participants au tournoi, dont je connaissais l’organisateur. Celui-ci me propose et je gagne ainsi ma place. Comme je n’étais pas assez fort sur le papier pour gêner Kasparov, je pouvais participer. La partie commence et j’essaie de serrer un peu le jeu avec ma scandinave fétiche. Petit à petit, Kasparov gagne toutes ses autres parties et les rangs se font plus clairsemés. Je tiens toujours la position. Il me jette alors un de ces regards dont il a le secret, prend une chaise, s’assoit en face de moi, réfléchit 5 minutes et se décide à tenter un sacrifice de pion. Il se lève, achève assez vite les dernières parties en cours et revient vers moi. Il m’invite à jouer mon coup. « Play, play ! » J’accepte le pion… et je me fais écraser. Il était tout content : « Of course it was draw, but you know… » »
Attaque Prié : qu’en pense Éric ?
« De 2003 à 2013, j’ai fourni un important travail académique (c’est-à-dire publié et rémunéré) de théoricien de l’ouverture sur mes spécialités : débuts du pion d, défenses slave et scandinave 3…Da5. Ainsi, je ne changerais pas un mot à ce que j’écrivais il y a quelque temps sur un forum bien connu, dans un fil de discussion traitant de la question :
« Un des plus grands mystères des échecs…est la pratique des systèmes de couleurs inversées. En effet, alors que la hollandaise est une défense « vivante » contre 1.d4 (1.c4, 1.Cf3), pourquoi la Bird fait-elle figure d’oiseau rare dans la pratique des maîtres ? Et l’on pourrait multiplier à l’envi les exemples, sans que cela ne change la conclusion. Et bien c’est une question de rythme !L’ouverture est chose vibrante, subtile, ondulant harmonieusement entre action et réaction. Ainsi, les noirs s’adaptent systématiquement à ce que font les blancs et, dans les systèmes de couleurs inversées, l’avantage du trait ne tarde pas à s’estomper dans une position égale, dans le meilleur des cas pour les blancs. Mais n’existe-t-il donc aucune défense adaptable qui permettrait de casser ce processus ? Une sorte de « panacée », forcément hyper-économique du point de vue de l’investissement théorique puisque calquée sur un système noir, qui parviendrait à tirer parti du temps d’avance ? »
C’est comme cela que s’est développée l’idée de 1.d4 puis 2. ou 3.a3 pour dissuader la réaction centrale noire c5 avant de sortir le Fc1 hors de la chaine de pions, comme si l’on pariait que ce petit coup de pion innocent serait nécessairement utile plus tard.
Le concept avait séduit la rédaction du Yearbook de New in Chess, toujours à la recherche de nouveautés pas trop farfelues et de signatures connues. C’est ainsi qu’en 2006, « The Prié Attack » s’est retrouvée (facétieusement) baptisée, en couverture du n°78. Comme pour tout schéma (je crois), j’ai continué de l’employer avec succès jusqu’à ce que l’analyse montre que l’on pouvait certainement jouer 2.Ff4, le fameux London system… avec un temps d’avance, donc, par rapport à ladite attaque Prié. Cela a correspondu à un boom phénoménal de la variante, dépoussiérée par la sortie immédiate du Fou sans 2.Cf3, avec tout le monde qui s’y mettait, des livres, des publications, des informations libres d’accès partout et donc de plus en plus de difficulté à trouver un déséquilibre avantageux face à des adversaires de mieux en mieux préparés.
Alors, à partir de 2013, à peu près au moment de mon passage de témoin sur Chesspublishing et armé de toute la connaissance que j’y avais accumulée, je me suis mis à alterner avec 2.Cc3 et 3.Ff4. Encore un système universel que l’on pouvait employer sur 1.d4 d5 ou 1.d4 Cf6, et pratiquement toute une théorie à bâtir ! Sauf que je jouais moins, contre des adversaires moins forts et que je n’avais plus de canal privilégié de publication pour mes recherches. Un joueur beaucoup plus fort que moi s’était aussi mis à pratiquer ce schéma, moins systématiquement mais apparemment sans que l’un d’entre nous ait eu connaissance des parties de l’autre : le n°1 géorgien Baadur Jobava, qui s’est offert quelques scalps célèbres, tels ceux des anciens champions du monde Ponomariov et Topalov, le genre de joueurs que je n’aurais jamais accrochés. C’est ainsi que j’ai envoyé mes analyses à Chesspublishing en 2014, et que la nouveauté s’est trouvée classiquement baptisée du nom du joueur un peu connu l’ayant jouée et théorisée en premier, associé à celui du joueur le plus fort l’ayant promue : « The Jobava-Prié attack » !
Car pour le coup, ça, c’était une vraie « attaque », avec cette hérésie positionnelle de bloquer le pion c2 en échange d’un jeu de pièces rapide et dynamique. Et puis rebelote, tout le monde s’y est mis (beaucoup en rapide ou en blitz, il est vrai), des joueurs de la part desquels on pouvait s’y attendre, comme les « originaux » Richard Rapport ou, en France, Christian Bauer, des « bébés Stockfish » comme le n°2 indien Erigaisi Arjun, mais aussi des joueurs « plus classiques » tels que Caruana, Aronian et Mamedyarov, et même le champion du monde Magnus Carlsen !
« The Jobava-Prié attack »
Tous ces joueurs ont introduit dans le système des idées à base de Cb5 pour forcer Ca6 (1.d4 d5 2.Cc3 Cf6 3.Ff4 e6 4.Cb5 !?), ou encore à base de h2-h4 très tôt, quasiment dans le vide (1.d4 Cf6 2.Cc3 d5 3.Ff4 g6 4.e3 Fg7 5.h4 !?), idées que je n’avais absolument pas perçues au départ et qui font vivre la variante.
Quant à moi, je ne compte plus les positions gagnantes que j’ai gâchées avec ce système hyper-exigeant qu’on appelle aussi la « Jobava London », que ce soit par manque de temps, d’énergie ou simplement du fait des complications qu’il peut faire naître. Comparativement au système de Londres avec 2.Ff4, qui tend vers l’égalité mais que je peux jouer « à la main », j’adore cette seconde attaque où figure parfois mon nom. Hélas, passé l’effet de surprise, force est de reconnaître que ce n’est tout simplement pas pour moi, ou en tout cas de moins en moins ! »